
Le risque est inevitable, sa gestion est un choix
Le déploiement d'un Progiciel de Gestion Intégrée (ERP) est une entreprise complexe et ambitieuse. Pourtant, au-delà de la complexité technique et fonctionnelle, c'est bien la gestion de ses risques qui détermine souvent son succès ou son échec. Si les manuels de gestion de projet insistent tous sur l'importance théorique de cette activité, mon expérience concrète sur plusieurs déploiements m'a révélé une vérité plus essentielle.
Cet article ne se contente pas de réitérer le message universel que "la gestion des risques est nécessaire", il est le fruit d'une capitalisation de mes expériences pratiques qui démontrent l'importance de son rôle. Je me suis rendu compte que se priver d'une démarche structurée d'identification, d'analyse et de traitement des risques, c'est non seulement réduire significativement les chances de succès de la mise en œuvre, mais c'est également se priver d'un outil puissant de simplification et d'amélioration du retour d'expérience (REX).
Je vais donc explorer ici non seulement pourquoi la gestion proactive des risques est vitale dans ce contexte spécifique (allant des impacts métiers aux enjeux techniques et humains), mais aussi comment l'appliquer concrètement, en m'appuyant sur des méthodes éprouvées et faciliter la transmission des connaissances capitales pour les projets futurs.
Pourquoi est-ce important ?
La gestion des risques est essentielle pour protéger les objectifs du projet en anticipant et en atténuant les menaces susceptibles d'engendrer des retards, des dépassements de budget et une baisse de la qualité du produit. Contrairement à une approche réactive et coûteuse, elle permet de prendre des décisions pour concentrer les ressources là où l'impact est maximal, assurant ainsi la résilience et la flexibilité de l'équipe face aux imprévus. De plus, cette démarche ne fait pas que sécuriser l’issue du projet, elle facilite et structure le Retour d'Expérience (REX) en documentant les menaces rencontrées tout au long du processus et les solutions adoptées, garantissant une capitalisation précieuse pour l’entreprise.
Qu’est-ce qu’un risque en gestion de projet ?
Un risque se définit comme un évènement incertain susceptible d’affecter les objectifs du projet, de manière négative (menace) ou positive (opportunité).
En pratique, un risque combine deux dimensions : La probabilité d’occurrence (faible, moyenne, forte) et l'impact potentiel (financier, délais, qualité, image, adoption par les utilisateurs).
La gestion des risques consiste à identifier ces évènements, à évaluer leur niveau critique et à mettre en place des plans d’action adaptés.
Identification et anticipation des risques
Je pense que l’expérience du chef de projet est essentielle pour identifier et prévenir les risques. Elle repose sur sa capacité à observer, à analyser, à communiquer, à rester alerte et imaginatif, et surtout à envisager des scénarios futurs en leur attribuant des probabilités. C’est cette aptitude à anticiper les menaces qui les transforme en alertes gérables.
L’anticipation est essentielle : il est trop tard d’agir lorsque le risque devient un incident. Les étapes clés sont :
- Cartographier les risques dès la phase de cadrage, avec toutes les parties prenantes.
- Analyser les risques connus à partir des retours d’expérience (projets précédents, benchmarks).
- Identifier les signaux faibles en phase de conception et de déploiement (dépendances techniques, organisationnelles, humaines).
- Mettre à jour régulièrement le registre des risques tout au long du projet, car de nouveaux risques émergent à chaque étape.
Dans le cas d’un chef de projet moins expérimenté:
- S’appuyer sur les experts (métiers, techniques, AMOA, intégrateur) pour collecter leurs alertes et anticiper les zones sensibles.
- Organiser des ateliers de brainstorming avec l’équipe projet afin de croiser les visions et enrichir l’identification des risques.
- Consulter la documentation projet (planning, analyse des dépendances, jalons critiques) pour repérer les points sensibles.
- Demander du mentorat ou un regard externe à un chef de projet expérimenté, pour confronter ses analyses et sécuriser sa démarche.
- Mettre en place une revue périodique des risques avec l’équipe pour ne pas laisser passer l’émergence de nouveaux risques.
Ainsi, même sans expérience consolidée, un chef de projet peut devenir un " capteur de signaux », en combinant méthode, écoute, curiosité et imagination.
Les stratégies de traitement des risques
Une fois identifiés et évalués, plusieurs actions sont possibles :
Pour éviter le risque, on peut modifier le périmètre ou l'approche afin d'éliminer sa cause (par exemple, simplifier une interface trop compliquée).
Pour réduire ou atténuer le risque, on peut mettre en œuvre des mesures (préventives ou correctives) visant à diminuer sa probabilité ou son impact (par exemple, former davantage les utilisateurs clés).
Pour transférer le risque, on externalise la responsabilité en la confiant à un prestataire (par exemple, en engageant un fournisseur certifié pour le développement de fonctionnalités).
Pour finir, on accepte le risque lorsque l'impact attendu est jugé plus tolérable que le coût pour le diminuer (par exemple, décider d'accepter un délai mineur en cas de surcharge temporaire).
Les principaux risques d’un projet ERP
Les projets ERP concentrent des risques typiques :
Risques organisationnels
- Résistance au changement des utilisateurs
- Faible engagement du management
- Gouvernance de projet insuffisante
Risques fonctionnels
- Incompatibilité entre le programme informatique et les procédures commerciales
- Personnalisation excessive entrainant rigidité et frais supplémentaires
Risques techniques
- Intégration complexe avec d’autres systèmes
- Problèmes de migration des données (qualité, volumétrie, sécurité)
Risques financiers
- Sous
- estimation des coûts (licences, prestations, formation, TCO)
- Dérapages budgétaires liés à des changements non contrôlés
Risques de planning
- Délais non réalistes
- Ressources clés non disponibles
Actions possibles face aux principaux risques
Chaque catégorie de risque nécessite des mesures spécifiques :
Organisationnels
- Élaborer une stratégie de conduite du changement structuré (communication, formation, implication des utilisateurs clés).
- Obtenir un sponsor fort et visible côté direction générale.
- Établir une structure de direction nette en attribuant des fonctions et des responsabilités précises.
Fonctionnels
- Validation préalable de la compatibilité entre l’ERP et les processus, à l’aide d’ateliers de cadrage détaillés.
- Limitez les personnalisations au minimum et optez pour la normalisation.
- Mettez en place des prototypes ou des phases pilotes pour évaluer la fonctionnalité réelle.
Techniques
- Réaliser un audit de l’architecture cible et des interfaçages en amont.
- Anticipez la migration de données dès le début du projet en créant des mocks et des jeux de données représentatifs.
- Prévoir des environnements de test et de préproduction qui reflètent la réalité.
Financiers
- Construire un budget détaillé incluant les coûts cachés (support, TMA, formation, licences additionnelles).
- Mettre en place un suivi budgétaire mensuel et des alertes sur dérives.
- Encadrer contractuellement les prestations pour limiter les avenants coûteux.
Planning
- Définir un planning réaliste tenant compte des contraintes métiers (clôtures comptables, pics d’activité).
- Sécuriser la disponibilité des ressources clés par un engagement managérial.
- Intégrer des marges de sécurité (buffers) pour absorber les aléas.
Les outils de gestion et de documentation des risques
Une gestion des risques efficace repose sur des supports concrets et vivants :
- Registre des risques : document central listant chaque risque, sa probabilité, son impact, son responsable, sa stratégie de traitement et son état d’avancement.
- Matrice des risques (probabilité et impact) : représentation visuelle permettant de prioriser les risques critiques.
- Plan de mitigation : description des actions concrètes prévues pour atténuer ou transférer les risques.
- Outils collaboratifs : solutions type MS Project, Jira, Confluence, ou même des templates Excel/SharePoint pour centraliser et suivre.
- Revues régulières en comité de pilotage : chaque risque critique doit être suivi comme un point d’agenda permanent.
La gestion des risques n’est pas un exercice bureaucratique, mais un levier de pilotage pour sécuriser la trajectoire d’un projet ERP. Elle permet d’anticiper les difficultés, d’impliquer les parties prenantes et d’augmenter significativement les chances de succès.
Un projet ERP n’échoue pas uniquement par sa complexité technique : il échoue souvent par manque d’anticipation et de vigilance face aux risques.