Comme je l’ai dit dans plusieurs de mes articles, le métier de responsable de projet informatique exige non seulement des compétences techniques, mais également des qualités humaines de manager d’entreprise. Pour s'épanouir et réussir durablement, le chef de projet doit reconnaître que son potentiel et ses limites influencent les limites du projet. Le point de départ de ce leadership réside dans l'alignement de l'individu avec lui-même.
L'Alignement : "Dire ce que l'on fait et faire ce que l'on dit»
La cohérence est la pierre angulaire de la crédibilité du chef de projet. Un manager cohérence est celui qui est " en alignement entre ce qu’il est profondément et ce qu’il montre ». Il doit se manifester par le principe simple de " il dit ce qu’il fait et fait ce qu’il dit ».
L’authenticité est une dimension fondamentale de cet alignement, signifiant la capacité à rester fidèle à soi-même et à maintenir ses opinions et ses valeurs.
Le Péril de l'incohérence
Si le chef de projet n'est pas aligné ou tente de porter un " masque » professionnel trop éloigné de ses convictions, l'incohérence est inévitablement ressentie par les interlocuteurs, ce qui a pour effet de parasiter la relation.
La congruence est particulièrement désastreuse dans le contexte du leadership, car elle rompt la confiance de façon irréversible. L'attitude du chef de projet est un élément clé dans le maintien de la motivation de l'équipe. Un manque d’intégrité peut créer des tensions qui, à terme, sapent la qualité de la production.
Outil pratique
Je vous propose de vous livrer à un petit jeu, afin de découvrir si votre auto diagnostic de cohérence est efficace. Répondez à ces quelques questions en octroyant une note de 0 à 2 pour chacune d’entre elles. Si le total de vos réponses est mineur ou égal à 6, des améliorations sont envisageables, sinon vous n’avez qu’à consolider votre auto diagnostic.
- Mes actions quotidiennes reflètent‑elles mes valeurs déclarées ? (Identifie les écarts visibles).
- Je partage ouvertement les raisons de mes décisions ? (Favorise la transparence).
- Quand je suis sous pression, quelles émotions surgissent et comment je les gère ? (Détecte les déclencheurs d’incohérence).
- Ai je un rituel de revue hebdomadaire de mes engagements ? (Installe la discipline).
- Mon équipe perçoit‑elle mon intégrité ? (Mesure la perception externe).
L'Intégrité : Le Caractère comme Base de la Crédibilité
La confiance est le fondement du leadership. Pour bâtir cette confiance essentielle, un leader doit illustrer trois qualités fondamentales : la vision claire des objectifs, l’empathie au travers d’une écoute active et le caractère pour une prise de décision résiliente.
Le Rôle du Caractère
Le caractère d'un leader est ce qui communique le potentiel et le respect. Quand le caractère d’un leader est fort, les gens lui font confiance, et ils croient en sa capacité à libérer leur potentiel. L'intégrité personnelle est un gage de crédibilité. Le chef de projet doit avoir la confiance en soi pour pouvoir porter des jugements impartiaux et résoudre des conflits sans a priori.
L'Alignement Éthique et Déontologique
L’intégrité se manifeste par l'adhésion aux principes éthiques. Le PMI a publié un Code de déontologie et de conduite professionnelle qui illustre ces principes. L'objectif de ce Code est d'inspirer la confiance aux métiers du management de projet et d'aider les professionnels à prendre des décisions éclairées, surtout dans des situations délicates où ils pourraient être amenés à compromettre leur intégrité ou leurs valeurs.
Ce code est fondé sur quatre valeurs principales pour la communauté mondiale du management de projet : la responsabilité, le respect, l’équité et l’honnêteté. Agir de manière cohérente avec ces valeurs est crucial pour le chef de projet afin d'être un responsable porteur de sens.
Le modèle CERCLE appliqué à l’intégrité
Le modèle CERCLE est un fil conducteur qui aide le leader à prendre des décisions en restant fidèle à ses valeurs éthiques. Chaque lettre représente une étape précise, en les suivant, on s’assure que le raisonnement est complet, transparent et ancré dans l’intégrité.
C - Contexte
Commencez par rassembler toutes les informations factuelles relatives à la situation : qui sont les parties prenantes, quels sont les objectifs, les contraintes budgétaires, les échéances, les exigences légales ou contractuelles. En partant d’un constat objectif, on évite les interprétations subjectives qui pourraient biaiser le jugement.
E - Éthique
Identifiez les principes moraux qui entrent en jeu. Référez‑vous au Code de déontologie du PMI (responsabilité, respect, équité, honnêteté) ainsi qu’à vos propres valeurs personnelles (transparence, justice, loyauté). Cette mise en évidence des repères éthiques garantit que la décision ne sacrifie pas les fondements mêmes de votre intégrité.
R - Risques
Analysez les conséquences possibles, tant positives que négatives. Pensez aux impacts à court terme (satisfaction du client, coût immédiat) et aux effets à moyen ou long terme (réputation, conformité, climat de l’équipe). Anticiper les risques permet d’éviter les raccourcis qui pourraient ternir votre crédibilité.
C - Choix
Sur la base du contexte et des critères éthiques, comparez les différentes options. Priorisez celle qui minimise les dommages, maximise le respect des valeurs et répond le mieux aux exigences opérationnelles. Le choix doit être clairement justifié par l’alignement avec les principes identifiés à l’étape précédente.
L - Leadership
Communiquez la décision de façon transparente. Expliquez le raisonnement suivi (les étapes du CERCLE), ouvrez la discussion aux questions et aux retours, puis mobilisez l’équipe autour de la solution retenue. Montrer que vous assumez pleinement la responsabilité de votre choix renforce la confiance et la perception d’intégrité.
E - Évaluation (boucle de rétroaction)
Une fois la décision mise en œuvre, mesurez son impact réel : respect du budget, satisfaction des parties prenantes, conformité aux exigences éthiques. Consignez les enseignements tirés pour les futures prises de décision. Cette étape transforme l’intégrité d’un acte ponctuel en une habitude durable.
Mise en pratique quotidienne, avant chaque décision importante, passez mentalement en revue les six étapes du CERCLE.
Notez brièvement chaque point (une phrase suffit) afin de garder une trace de votre raisonnement.
Partagez ce résumé avec les personnes concernées : cela montre que vous ne décidez pas dans l’ombre.
Après l’exécution, revenez sur l’étape d’Évaluation pour vérifier que les résultats correspondent à vos attentes éthiques et ajustez votre approche si nécessaire.
En suivant ce processus structuré, vous vous assurez que chaque choix reflète vos valeurs d’intégrité, que votre équipe perçoit votre démarche comme honnête et que la confiance se construit sur des bases solides et transparentes.
La Connaissance de Soi, Premier Acte de Cohérence
La recherche de la cohérence et de l'authenticité passe nécessairement par un travail sur le développement personnel. L'individu doit identifier ses valeurs et ses motivations profondes.
Mieux se connaître est indispensable, le chef de projet doit connaître sa propre personnalité et sa hiérarchie de centres de fonctionnement (instinctif, émotionnel, mental). Il doit prendre conscience de son propre impact dans l'organisation et doit reconnaitre et accepter ses émotions.
Cette conscience de soi permet de ne pas être dans le leurre et d'agir en pleine liberté et conscience, ce qui est le chemin vers la sérénité et une plus grande puissance d'action.
Exemples concrets d’impact de la connaissance de soi
A) Gestion du stress pendant une crise
Dans une phase de déploiement de l’ERP, le process de campagne de paiments ne fonctionne pas, l’entreprise ne peut payer ses fournisseurs. Le chef de projet, conscient que son impulsion première serait de chercher un responsable, interrompt ce réflexe. Après une courte respiration, il reformule mentalement son objectif (" préserver le planning ») et adopte une attitude collaborative : il recueille d’abord les faits auprès de l’équipe, puis propose un plan de correction. Le problème est résolu plus rapidement, l’équipe demeure motivée et la confiance reste intacte.
B) Communication de mauvaises nouvelles
Le budget du projet doit être réduit de vingt pour cent. Connaissant sa propre aversion aux confrontations, le chef de projet anticipe la difficulté. Avant même la réunion, il rassemble les chiffres, prépare des arguments solides et imagine les réactions que la nouvelle suscitera. Le jour J, il choisit un créneau où l’équipe est détendue, puis, d’une voix calme, expose les raisons de la coupe budgétaire. Il reconnaît l’impact que cela aura sur chacun, fait preuve d’empathie et, sans perdre de temps, ouvre le débat sur les alternatives possibles. Parce qu’il montre transparence et prévoyance, les membres de l’équipe acceptent le changement, convaincus que le leader agit avec honnêteté et considération.
Méthodologie de développement
Je vous propose une méthodologie de découverte de soi qui repose sur 5 points clés:
- Observation : après chaque réunion ou incident, consigner le contexte, les émotions ressenties et le comportement adopté.
- Identification des schémas : regrouper les notes hebdomadaires pour repérer les déclencheurs récurrents (stress, incertitude, désir de plaire).
- Analyse d’impact : évaluer le résultat de chaque réaction et envisager des alternatives plus favorables.
- Objectifs d’ajustement : formuler de petites habitudes (ex. : respirer deux fois avant de répondre, solliciter un avis externe avant validation).
- Suivi : cocher quotidiennement l’application de l’habitude et procéder à une revue mensuelle des progrès.
Pour mettre en pratique cette méthode au quotidien, il faut, immédiatement après une interaction clé, consacrer quinze minutes à :
- Noter le contexte,
- Identifier les émotions ressenties,
- Décrire le comportement déclenché,
- Analyser le résultat immédiat,
- Formuler une action corrective à tester lors de la prochaine situation similaire.
Une relecture hebdomadaire de ces micro‑rapports transforme des anecdotes isolées en un plan d’amélioration continue, renforçant la conscience de soi et, par conséquent, la crédibilité et l’efficacité du leadership.
Conclusion
Sans un alignement intérieur solide, le chef de projet ne peut que viser des résultats éphémères. Les relations basées sur la confiance, le caractère et l’intégrité constituent le socle invisible qui soutient la performance durable. En cultivant l’auto‑connaissance, en appliquant des cadres décisionnels éthiques et en vérifiant régulièrement son alignement via des outils concrets, le leader transforme son propre comportement en un véritable moteur de succès pour l’équipe et le projet.